Pierres sèches et capitelles, une technique de construction


Capitelle en pierres sèches Première parution, le 29/05/2021
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L’Évolution des Techniques  de la Construction à sec. Dans l’habitat en Languedoc, du néolithique à la Période Contemporaine

D’après les connaissances actuellement acquises et en schématisant quelque peu, il est possible de discerner six grandes périodes dans l’histoire de la tradition constructive de la pierre sèche telle qu’elle s’est manifestée en Languedoc oriental, depuis son apparition à la fin du Néolithique jusqu’à sa disparition au début du XXe siècle de notre ère, ce dans des domaines aussi différents que l’architecture funéraire, l’habitation rurale ou urbaine et l’art de la fortification.

C’est l’étude de cette évolution s’étalant sur plus de quatre millénaires que nous proposons à la réflexion des chercheurs d’horizons différents (archéologues, géographes, ethnologues, architectes, spécialistes d’architecture vernaculaire, voire maçons) susceptibles de pouvoir apporter les connaissances et le point de vue de leur spécialité sur un sujet qui a alimenté par le passé de nombreuses controverses et qui soulève, encore aujourd’hui, maintes questions restées sans réponses faute d’investigations sérieuses et méthodiques sur le terrain.

Dans l’immédiat, nous nous proposons d’examiner successivement chacune de ces six grandes périodes annoncées plus haut, en en brossant un rapide panorama et en en situant les zones d’ombre.

En Languedoc oriental, les premières manifestations connues de la maçonnerie en pierre sèche sont attribuables d’une part aux Chasséens (3800-2500 av. J. C.), d’autre part aux Ferrériens (2750-2200 av. J. C.). Les premiers y ont eu recours pour leur habitat : leurs cabanes exhibaient une base de dalles posées de chant enserrant un blocage ou encore de dalles posées à plat (Buzignargues – Hérault). Les seconds ont employé la maçonnerie à sec et dans la construction funéraire et dans leur habitat permanent : murets servant de supports latéraux aux chambres ou aux couloirs de leurs dolmens ; muret à parement simple servant de fondation dans leur habitat (Mas de Grézan, Nîmes – Gard).

L’encorbellement simple (saillie d’une pierre par rapport à l’inférieure) figurait aussi, semble-t-il, au nombre des techniques mises en œuvre dans leurs constructions funéraires. Rien de comparable, toutefois, à une voûte auto-clavée. Il conviendrait de bien caractériser ces premiers balbutiements des techniques de maçonnerie et de couvrement en pierre sèche par le ré-examen des vestiges déjà découverts et par la multiplication de nouvelles fouilles, en particulier pour l’habitat (Roger, 1981).

D’ores et déjà, une plus grande technicité apparaît dévolue à la construction funéraire qu’à la construction de l’habitation.

La deuxième grande période est celle de la civilisation de Fontbouisse (2200-l800 av. J. C.), où la pierre sèche a été employée par des populations pastorales, d’une part dans la construction de leurs habitations, d’autre part dans le domaine de l’enclôture (à usage de fortification selon certains, à usage de parquement de bétail selon d’autres).

Malgré un premier essai de synthèse (Gascó J., 1976), les caractéristiques de la maçonnerie à sec telle qu’elle était pratiquée par les Fontbuxiens dans l’habitat permanent, restent à ce jour mal définies et insuffisamment décrites. Ces derniers savaient-ils faire des assises et croiser les joints ? Savaient-ils donner un fruit aux murs ? Savaient-ils placer des boutisses parpaignes ? Quelle était la finalité exacte du double parementage (pierres horizontales ou dalles verticales) enserrant ou non un blocage ? Dans quels cas peut-on envisager un rôle porteur aux murs fontbuxiens ? Dans quels autres un simple rôle de mur-écran ?

La technique du bourrage interne aurait-elle une fonction isolante ? Autant de questions qui mériteraient d’être posées au spécialiste des techniques de la pierre sèche. Pour ce dernier – il n’est pas inutile de le signaler – les techniques de voûtement par clavage et par encorbellement paraissent totalement exclues dans l’habitat permanent fontbuxien (et ce contrairement à des assertions récentes – Canet et et Roudil, 1978; Gutherz, 1980), à en juger d’après les volumes de pierres rencontrés lors des fouilles des substructions (Lébous, Boussargues – Hérault).

La question se pose donc de savoir pourquoi la technique de l’encorbellement, pourtant connue et utilisée, quoique à un niveau très rudimentaire, dans la construction fontbuxienne (couloir et logette souterrains à La Queyrolle et à Canteperdrix – Gard – servant d’annexes à l’habitation) (Gutherz, 1975; Roger, 1981), n’a pas été étendue aux superstructures dans l’habitation elle-même ?

Tout couvrement en pierre sèche étant donc exclu, peut-on envisager quels sont les matériaux et les techniques employés à la réalisation des superstructures des cabanes, ce d’après les indices rencontrés dans les fouilles (file médiane de trous de poteaux, grandes lauses calcaires à Cambous, traces de clayonnage brûlé à Fontbouisse) ? Quels types de restitutions est-on en droit de faire (Gascó J., 1976) ?

Toujours au Chalcolithique, la maçonnerie à sec a été employée non seulement à la réalisation de l’habitation mais encore à celle d’enclôtures à caractère défensif, du moins selon l’interprétation attribuée à deux sites, celui du Lébous (Arnal, 1973) et celui de Boussargues (Gutherz, 1980). Au Lébous, la technique du double parementage avec pierraille en blocage intermédiaire aurait servi à la réalisation d’une enceinte de tours et de courtines, les bases des tours étant en grandes pierres rectangulaires et les bases des courtines en gros blocs polyédriques. Ici encore, les questions ne manquent pas de se poser. La faible épaisseur des murs (1,00 m) ne laisse pas d’inquiéter, ainsi que leur faible hauteur restituée, éléments qui s’accordent mal avec des nécessités de défense.

L’hypothèse de murs de 2,00 m de haut armés verticalement et horizontalement par des poutres est-elle recevable ? Bien plus, le « château » du Lébous est-il vraiment un « château » (Gutherz, 1975) ?

Et s’il n’en est pas un, peut-on en faire une « ferme à cour fermée » (Gascó J., 1980) ou une « enceinte à parquer les moutons » (Canet et Roudil, 1978) construite par les Chalcolithiques ? Plus vraisemblablement, le site n’aurait-il pas été profondément marqué, dans les structures qu’il porte, par des activités agricoles, pastorales ou forestières post-médiévales ? Une troisième période, caractérisée par un important essor des techniques de la pierre sèche, est l’Age du Fer (VIIIe-IIe siècle av. J. C.), où se développe la civilisation des « oppida », premières cités fortifiées, constituées de cases en pierres sèches, de plan rectangulaire ou carré et à toiture en matériaux périssables.

Les techniques de maçonnerie à sec appliquées à la fortification deviennent plus sophistiquées. Les murailles sont généralement constituées de deux parements de pierres montés à sec (mais aussi à l’argile) et d’un blocage interne de terre et de pierraille coupé par des parements intermédiaires (jusqu’à 7 ou 8). Leur observation attentive sur des sites fouillés ces dernières années (Ambrussum, Murviel-les-Montpellier –Hérault; Nages – Gard) montre de substantiels progrès (Fiches, 1979), tels que la taille et l’appareillage des pierres en parement (Murviel) tendant vers la maçonnerie à joints vifs, ou encore le creusement de semelles dans le rocher pour servir d’assise (Taradeau, Var).

Toutefois, on en est réduit à des conjectures en ce qui concerne les superstructures de ces remparts (présence de palissades, de merlons ?). L’apparition de tours rectangulaires (en plus des circulaires) implique le recours à la chaîne d’angle. La constatation de ces divers progrès techniques amène l’observateur à se poser la question de ce que ces remparts indigènes pourraient devoir à l’influence grecque qui se manifeste dès le VIe siècle avec l’édification du rempart de Saint-Blaise – Bouches-du-Rhône (Bessac, 1980). Parallèlement au développement de l’art de la fortification, la construction en pierre dans l’habitat urbain connaît un grand essor, à côté désormais de techniques telles que la terre banchée (La Lagaste – Aude), la brique crue (Ensérune – Hérault), la case-encoche (Montlaurès – Aude). Si l’emploi d’un liant (argile) se généralise, la pierre reste encore utilisée sèche, ainsi à Nages, où une hauteur de 3,70 m est constatée. Une étude comparative de l’anatomie de ces murs, par rapport à celle des murs chalcolithiques, ne manquerait pas d’apporter des renseignements intéressants. La question des toitures sur ces maisons de plan quadrangulaire semble être résolue en faveur de charpentes rudimentaires de pannes ou de rondins supportant une couverture de branches sur lesquelles du pisé a été appliqué (Les Baux – Bouches-du-Rhône; Nages).

Un quatrième moment de la construction à sec, celui-ci bien moins connu que les précédents (faute d’investigations), est celui s’étendant de la veille de la Conquête romaine jusqu’au VIIe siècle de notre ère, période qui aurait vu, dans le Gard, la permanence de petits groupements ruraux de bâtiments construits en pierre sèche (Durand-Tullou, 1980). Situés à proximité ou à l’emplacement même des fermes, hameaux et villages actuels, ces édifices (Blandas, Vissec) semblent être des « longères » de 15 à 18 m de long sur 8 à 10 m de large, se composant de pièces de dimensions inégales sans communication entre elles et s’ouvrant du même côté.

Les murs, conservés encore parfois sur 1,00 m de haut, ont de 60 à 70 cm d’épaisseur et sont constitués de blocs assez bien équarris.

Ces indications, encore bien maigres, appellent une investigation plus poussée. Le plan rectangulaire, la faible épaisseur des murs, l’équarrissage des pierres impliquent une certaine maîtrise technique, un savoir-faire qu’il faudrait essayer de préciser.

Une cinquième période discernable dans l’histoire de l’évolution des techniques de la pierre sèche est celle allant du haut.Moyen Age au XIIIe siècle (Cablat, 1974-l975; 1978). Il s’agit ici, comme dans la période précédente, de manifestations liées à l’habitat permanent. Dans les garrigues, au VIIIe siècle, apparaissent les « manses », établissements agricoles groupant, autour d’un sanctuaire, des cabanes en pierre sèche et à toit de chaume ou de tuiles, protégées par un enclos.

Malheureusement, l’absence quasi-totale d’éléments d’information provenant de fouilles ne permet pas de se faire une idée du niveau technique de ces constructeurs.

La sixième et dernière période de la construction à pierre sèche se situe aux XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles où la tradition connaît un essor technique considérable lié au développement de l’habitat rural temporaire qui se crée au fur et à mesure de l’extension des terroirs villageois à partir du début des Temps Modernes (Cablat, 1974-1975; 1978). C’est l’âge d’or des maçons à pierre sèche qui donnent leur pleine mesure d’une part dans l’adoption et la popularisation de techniques de voûtement (par clavage et par encorbellement) anciennement connues, les portant à un degré de technicité jusque là inégalé, d’autre part dans la réalisation des détails de construction (appareillages, baies, aménagements divers) conjuguant un fonctionnalisme strict et une grande économie de moyens (Lassure C. et Obereiner, 1977). de la construction à pierre sèche se situe aux XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles où la tradition connaît un essor technique considérable lié au développement de l’habitat rural temporaire qui se crée au fur et à mesure de l’extension des terroirs villageois à partir du début des Temps Modernes (Cablat, 1974-1975; 1978).

L’édification de ces constructions temporaires sur des sites ayant connu une occupation préhistorique est à l’origine du mythe de la « capitelle » néolithique qui a eu cours dans les années 1930-1940 (Louis). Si des travaux récents (CERAPS puis CERAR) ont montré l’inanité de cette thèse, la tentation d’attribuer aux Néolithiques languedociens la maîtrise du voûtement en pierre sèche et son emploi dans l’habitation reste forte (Canet et Roudil, 1978; Roger, 1981). Dans ces conditions, la nécessité s’impose d’un recensement exhaustif et d’une étude détaillée des différents types et sous-types de voûtements subactuels en pierre sèche présents en Languedoc oriental. Une étude comparée, aux plans de la maçonnerie et de la statique, des voûtements modernes et des couvrements préhistoriques pourrait alors être engagée, si tant est que cela ait un sens de comparer des éléments relevant de deux niveaux technologiques et économiques globaux différents. Au terme de la présente esquisse d’une histoire des techniques de la pierre sèche, ce sont donc, à présent, les contributions des spécialistes qui sont sollicitées sur les points restés litigieux et sur les interrogations soulevées.

Christian Lassure, L’évolution des techniques de la construction à sec dans l’habitat en Languedoc du Néolithique à la période contemporaine, http://www. pierreseche.com/evolution_techniques.html

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